Middle of Nowhere Productions

Middle of Nowhere Productions

A Stéphane Braconnier, décembre 2002

… one

To whom you are but as a form in wax

By him imprinted, and within his power

To leave the figure or disfigure it.

 

W. Shakespeare, A Midsummer Night's Dream.

 

 

Mon cher Stéphane,

 

Cire et chambre noire, as-tu dit, mais à quoi pensais-tu, à Arsenic et vieilles dentelles, au Mystère de la chambre jaune ou à Meurtre au musée de cire ? Aux trois, probablement. Je suppose que tu as prévu un vernissage dans le plus pur style des polars britanniques, avec un repas aux chandelles truffé d'angoisse, pendant lequel certaines, selon leur habitude, joueront négligemment avec la cire qui dégouline des bobèches et en malaxeront les stalactites d'un doigt lourdement bagué. Tenue de soirée et crime de rigueur, avec mystère, s'il vous plaît, ambiance de film noir, très noire.

 

Je me rappelle cependant les toiles précédentes, leurs chatoiements et leurs irisations qui faisaient danser le regard comme sur un parquet de salle de bal éclaboussé de bluettes. A présent c'est différent ; tes toiles commencent à m'aspirer et j'y trouve une odeur de terre et de vérité. Tes pastels ont troqué leurs belles défroques contre des manteaux couleur de muraille, des parures d'ocre et de feuilles mortes, le nombre des carrés qui les rythment a diminué de façon dramatique. Il est grand temps pour moi de sortir ma loupe et mon calepin de détective, car les indices s'amoncellent.

Je tiens presque un synopsis pour mon futur polar : on a découvert le corps dénudé de plusieurs femmes. L'identification sera difficile car il leur manque une bonne partie de la tête. Cependant, le serial killer a semé des éléments signifiants sur les lieux du crime, cartes à jouer, feuilles de vigne, appareils photographiques ou ouvrages littéraires aux titres soigneusement sélectionnés. Un des corps, celui d'une Africaine, est même muni d'une faux. La dimension allégorique de ces indices tendrait à prouver, selon les experts psychiatres, qu'il s'agirait d'un écrivain ou d'un artiste, à défaut d'un esthète, mais cette interprétation diffère de celle du  laboratoire de criminologie. En effet, les traces de cire et de sels d'argent découvertes sur les corps laissent à penser qu'on est plutôt confronté à l'œuvre d'un photographe pratiquant l'apiculture comme passe-temps ou d'un apiculteur féru de photographie.

Je me rappelle t'avoir écrit la phrase suivante : Monsieur, vous parlez de cire, parce que je trouvais que tes tableaux, par le truchement de la couche à peine translucide qui les recouvrait, signifiaient clairement ce qui est à la fois transparent et opaque dans l'art, et que devant eux je jouissais de voir et de ne pas voir, de parler et de me taire. A présent, je comprends encore mieux, grâce à l'assombrissement de ta démarche et à cette lucidité qui, paradoxalement, te pousse vers l'obscurité. "Now, the plot thickens", comme le dit Laurence Olivier dans Sleuth, l'intrigue s'épaissit et la cire parle le même langage, qu'elle soit transparente ou opaque, qu'elle me livre crûment la photo qu'elle recouvre ou qu'elle reprenne ses droits de matière en dévorant la lumière. Elle me rappelle aussi, polar oblige, La lettre volée de Poe, elle montre pour mieux dissimuler.

 

A moins qu'elle ne dissimule pour mieux montrer. Tu vois, je t'échange un chiasme contre le ravissement que tu procures à mon chiasma optique devant les belles figures de style que tu couches sur la toile. Rassure-toi toutefois, car malgré tout ce que j'ai vu, je ne dirai rien à la police ; je me contenterai, comme le fait Joseph Cotten à la fin de L'abominable Docteur Phibes, de constater que le coupable n'est que partiellement découvert, heureusement, et qu'il s'échappe par une dernière pirouette en nous laissant dans l'obscurité.

 

Dans l'attente de ton prochain film, après ce fondu au noir littéral, je t'abandonne encore une fois mon regard.

 

 

 

Dear Stéphane,

 

 

            What did you say it was ? Darkroom and Wax , but what were you thinking about, The Mystery of the Yellow Room, Murder at the Wax Museum or Arsenic and Old Lace ? About the three of them, I guess. I suppose you have planned an opening in the best British whodunit style, with a suspense-laced candlelit dinner during which some women, according to their habit, will play absent-mindedly with the wax that drips from the candle-rings, and knead its stalactites with heavily ringed fingers. Black tie and murder requested, of course, and a black, very black thriller atmosphere.

 

Yet I remember the last canvasses, their shimmer and iridescence which made the eye whirl as on a sparkle-spangled ballroom dancefloor. Now it is different; your canvasses have started sucking me up, and I'm finding the smell of truth inside them. Your pastels have swapped their finery for stone-grey cloaks, garments of ochre and dead leaves, and the number of the squares which rhythm their surface has shrunk. It is high time I took my magnifying glass and my detective's notebook out of my pocket, because the clues are piling high.

I almost have a story for my next thriller: the bodies of several women have been discovered. Identification will be difficult since most of their heads is missing. Nevertheless, the serial killer has planted a few signifying elements on the premises, playing cards, vine leaf, cameras or literary works with  carefully selected titles. One of the bodies, an African woman's, is even equipped with a scythe. The allegorical dimension of those clues should be evidence, according to the psychiatrists, of our dealing with a writer, or an artist, at the very least an aesthete, but that interpretation differs from that of the coroner's laboratory. In effect, some traces of wax and salts of silver found on the corpses would prove that a bee-keeping photographer or an photography-inclined apiarist should be suspected.

I remember having written the following sentence about you: Sir, your words are as clear as wax , because I thought that your paintings, thanks to the translucent layer of wax that covered them, clearly signified everything that is at the same time transparent and opaque in art, and that in front of them I could enjoy seeing and not seeing, talking and remaining silent. Now I understand even better, through the darkening of your approach and that lucidity which, paradoxically, urges you towards obscurity. As Laurence Olivier puts it in Sleuth, 'Now the plot thickens'; it thickens and the wax speaks the same language, whether it crudely exposes the photo it covers or, as matter, claims its right to eat up the light. It also reminds me, whodunit oblige, of Poe's Purloined Letter : it reveals in order to better dissimulate.

 

Or it dissimulates in order to better reveal. See, I trade a literary chiasma for the pleasure you give my optical chiasma in front of all those beautiful painted figures of speech. Be comforted though, for despite all that I have seen, I won't tell the police anything. I shall simply state, as Joseph Cotten at the end of The Abominable Doctor Phibes, that the culprit is only partially exposed, fortunately, and that he eventually whisks himself away, leaving us but darkness.

 

Waiting for your next film, after that literal fading to dark, I once more yield my eyes to you.

 

 



16/10/2018
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