Middle of Nowhere Productions

Middle of Nowhere Productions

A propos de Stéphane Braconnier, 2000.

Candles burned out, light jumped and stuttered across what was now the shimmering formlessness of Mary Dyer's remains. Stubbs peered down, cut something, spent a moment with his sketchpad, then declared himself done with the cadaver. He straightened, waited for Mary Spencer to pinch out the candles, which she did in haste…

 

John Hawkes, Whistlejacket.

 

 

 

Depuis que j'ai échappé à la folie qui me guettait dans le détail des socques du Mariage des Arnolfini, je ne m'approche d'une peinture qu'avec circonspection. Le plus souvent, d'ailleurs, je ne le fais que pour poser un œil froid et technique sur la qualité de la matière, conscient qu'il existe sur la toile, effectivement, ce petit détail qui tue et qu'il vaut mieux parfois ne pas voir en détail. Stéphane m'a tendu un piège avec la pièce intitulée La soirée en glissant la photo d'un livre dans son mille-feuilles de cire et m'a contraint de m'approcher dans les parages dangereux de l'extrême proximité, proscrite par les gardiens de musée, afin de savoir de quel livre il s'agissait.

 

Ce n'était heureusement qu'un piège formel, et je me suis rendu compte que cette manière quelque peu cavalière de capturer mon regard n'avait pour effet que de renforcer ma conviction première et de me rabattre une fois de plus sur le grand paradoxe de l'art. Ce traité ancien d'art équestre m'a instantanément évoqué Stubbs, le grand maître anglais de la représentation du cheval, et l'anecdote célèbre de la colère de l'étalon Whistlejacket devant le réalisme vivant de son image peinte, un réalisme que Stubbs devait en grande partie aux nombreuses dissections de cadavres qu'il avait menées au cours de sa carrière, et en particulier celle d'un cheval.

Certes, devant tant de cire, je ne pouvais que penser à la mort. Accoutumé à la nature profondément mortifère de l'art, la matière ne cessait d'évoquer d'autres images terrifiantes: masques mortuaires, collections d'écorchés, et surtout, les Scènes de la peste de Zumbo. Le fait même d'inclure des photographies dans une gangue de cire imitait à la fois le processus de l'arrêt sur image, qui fige le point focal d'un regard destiné tôt ou tard à se voiler (un destin que la pellicule de cire, voilant l'image, met en scène de façon magistrale: je vois comme à l'agonie) et celui de la fossilisation, la cire emprisonnant comme une ambre blanche l'icône d'un temps interrompu. Le grand Whistlejacket, à la National Gallery, est traité de la même manière, pris dans une gangue presque uniforme, d'un beige crémeux et translucide qui n'est pas sans évoquer la cire des chandelles anciennes, et je ne vois pas de hasard dans la présence constante de ces chandelles lors de la description de l'étape ultime de la dissection de Mary Dyer, dont le patronyme célèbre en contrepoint l'homophonie de die et de dye, devenir livide et donner des couleurs, mourir et teindre. Or s'éteindre, c'est mourir, et la chandelle, avant d'être photophore, est avant tout métaphore; celle de la mort, mais également celle de la fragilité de la vie et de tout ce qui peut s'associer à sa nature vacillante et à son statut incertain, qui oscille entre le liquide et le solide. Out, brief candle est l'oraison funèbre de Macbeth pour son épouse, et c'est à la lueur d'une bougie presque éteinte que Victor Frankenstein s'apprête à faire du vivant avec du mort.

Ce n'est pas un hasard non plus si Lucie, petite lumière étymologique, plus jeune que Lola, est plus nette qu'elle dans sa représentation, et si la couleur des carrés est plus vive et drue lorsqu'il s'agit de ces deux-là. Les sujets adultes sont en revanche méconnaissables, et seul le temps arrêté reste lisible dans l'offrande qu'ils en font au regard, à l'aide d'une montre dont l'authentique propriétaire, cependant, est vraisemblablement défunt.

 

Il reste à jouir du paradoxe, de cette figure de style essentielle où l'on parle de ténèbres en dispensant la lumière, et la cire convient parfaitement à l'exercice. Loin d'avoir le teint cireux, ces tableaux dispensent une jouissance lumineuse, et déclinent une belle cohérence. J'ai envie de dire à Stéphane, comme je l'aurais fait au dix-huitième siècle: monsieur, vous parlez de cire, parce que comme Proust décrivant les carafes d'eau dans la Vivonne, à la fois contenant et contenu, ces chandelles de cire, dans la cire, décrivent de façon lumineuse la raison d'être de l'art, qui est de n'être que sa propre image sans cesse réitérée.

 

 



16/10/2018
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