Middle of Nowhere Productions

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A propos de Paul Raguénès.

A propos de Paul Raguénès

 

 

Je suis un peu peintre sur les bords.

 

 

Je me souviens avoir glosé sur le paradoxe que contient l'expression tenir le mur ; celle qu'on emploie pour dénoter le degré de présence d'une œuvre une fois qu'elle est accrochée: ça tient bien le mur. De fait, bien entendu, c'est le mur qui tient l'œuvre, et pas le contraire. Cependant…

Les dernières toiles de Paul Raguénès me font penser au chien Spike dans un dessin animé de Tex Avery : accroché à un cerf-volant, Spike est pris à son propre piège, un énorme pétard qui remonte le long de la ficelle et explose à son contact, ne laissant de lui que quatre bouts de pattes amarrées au squelette du cerf-volant et une tête ahurie. Au milieu, un pan de ciel bleu par lequel un canard passe en faisant coin-coin.

Ce trou béant a quelque chose de tragique, et c'est pour cette raison qu'on rigole : rire est le propre de l'homme, tout comme l'est cette tentative désespérée de donner du sens à la béance originelle.

L'entreprise est paradoxale et métaphorique, car si l'on y réfléchit bien, ce que ce trou intérieur représente n'est en fait qu'une image inversée des bords de la toile, la zone littorale où le geste s'interrompt, où le mur redevient mur, la frontière où le sens flue et reflue comme une vague en abandonnant dans le ressac coquillages morts et bois flottés. Chez Paul Raguénès, d'ailleurs, les bords sont puissamment métaphoriques, chantournés comme les pièces d'un puzzle ou mieux, comme des sutures cervicales, et ils ont toujours semblé dire que là ne s'interrompait pas l'entreprise, mais que devait s'y emboîter autre chose, et que c'était là qu'il fallait chercher la clé, comme dans la petite chanson de Goldman : ces choses qui n'existent jamais tant que le manque qu'elles ont laissé. Curieusement, alors que l'ensemble de la toile, composé de pigments instables, laisse des traces aux doigts du manutentionnaire, ces bords mouvants sont les seuls à être effectivement peints, et alors que je devrais parler de ce qui, littéralement, me touche et s'échange avec moi, je me retrouve à m'étendre sur ce qui devrait me faire taire. Encore un paradoxe.

Comme dans ce bel autoportrait de Nicolas Poussin, où l'important n'est pas la face du peintre, mais l'envers des toiles qui l'environnent, on cherchera la vérité dans la non-peinture, les marges, redoublées ici par évidement, évidemment. Lacan en donne une définition lumineuse dans le livre XI du séminaire : c'est au niveau perceptif, le phénomène d'une relation qui est à prendre dans une fonction plus essentielle, à savoir que, dans son rapport au désir, la réalité n'apparaît que marginale. Il accompagne sa phrase d'un schéma qui comporte deux cercles concentriques, le cercle intérieur étant nommé écran, et poursuit : En effet, il y a quelque chose dont toujours, dans un tableau, on peut noter l'absence – an contraire de ce qu'il en est dans la perception. C'est le champ central, où le pouvoir séparatif de l'œil s'exerce au maximum dans la vision. Dans tout tableau, il ne peut qu'être absent, et remplacé par un trou – reflet, en somme, de la pupille derrière laquelle est le regard.

On peut également se contenter de faire le canard et de traverser la toile en faisant coin coin, ce que je suis en train de faire par devoir et par nécessité, parce que c'est là pour.   



16/10/2018
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