Middle of Nowhere Productions

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A propos de Cyril Dor, février 2000.

A propos de Cyril Dor, février 2000.

 

 

 

When the angel wooes the clay, he loses his wings at the dawn of the day. (On Raglan Road)

Lorsque l'ange courtise l'argile, il perd ses ailes l'aube venue.

 

 

 

S'il me fallait citer un invariant dans les mythes fondateurs, c'est je pense l'argile qui me viendrait immédiatement à l'esprit. Il y a toujours quelque part une divinité qui malaxe une poignée de glaise informe jusqu'à obtention d'une forme humaine; et il paraît que la glaise, dans ces mythes fondateurs, représente la terre mère, le principe féminin. Plus près de moi, lorsque j'imagine quelqu'un qui modèle de l'argile, je ne puis m'empêcher de voir l'artiste sous forme de caricature: blouse maculée, chiffon à la main, un béret, pourquoi pas. C'est toujours comme ça, d'ailleurs, très conventionnel, le modelage; on fait du portrait, du buste, de la bonne femme bien en chair, parce qu'un Giacometti en argile ne tiendrait pas sur ses pattes grêles. La plupart du temps, le résultat est plutôt moche, du genre à poser sur une cheminée d'appartement bourgeois, mais au moins, ça ressemble à de l'homme, comme si on avait peur de se retrouver, comme Prométhée, ficelé sur un rocher après avoir fait preuve d'originalité.

J'aime bien le côté Dr Frankenstein de Cyril Dor, et la jouissance évidente qu'il a éprouvée en modelant les membres de sa petite coterie. Un des plaisirs les plus ineffables, avec la glaise, c'est de la serrer dans son poing, et de la sentir s'écraser alors que s'échappent d'entre vos doigts d'ignobles tagliatelles. Ca vous a un côté régressif, colombin-caca-boudin, mais que diable! dans ce type d'exercice, la glaise est au moins ce qu'elle est, c'est à dire plastique, souple, flexueuse. Il suffit de relire Moby Dick, et en particulier le passage où Ishmael malaxe du spermaceti; c'est de ce plaisir-là que je veux parler. Les bestioles de Cyril, ses créatures, me font légèrement peur, pour être franc, mais cela a du bon. Je les sens passées à la moulinette et à l'ordinateur en même temps, puis filtrées par quelques cauchemars multicolores; je les sens surtout libres de toute convention, comme une tribu démente qui aurait décidé de vivre son humanité autrement.

J'aime bien leurs petites mains et leurs petits pieds de mutants et leurs pilosités ondulatoires, et j'aime bien le soin apporté à ce travail de modelage, loin des modes trash-raku, avec des matières et des couleurs maîtrisées.

Tout cela est évidemment très irrévérencieux; on ne fait pas ce genre de choses avec de la glaise, à moins d'encourir les foudres de quelque dieu vindicatif. J'ai eu des craintes, pendant un moment, en ce qui concernait l'avenir de cet iconoclaste: allait-il finir foudroyé ou enchaîné, ou condamné à rouler une énorme boule de glaise pour l'éternité, comme un bousier mythique? Un examen attentif de ses créatures m'a livré le secret de son impunité: Toutes ont un nombril en bonne et due forme; l'honneur de la terre mère est sauf, et Cyril Dor  peut, comme certains de ses petits monstres, dormir sur ses deux oreilles.

 



16/10/2018
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