Middle of Nowhere Productions

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A propos de Christophe Gonnet, Novembre 94.

A propos de Christophe Gonnet, Novembre 94.

 

            L'œuvre me parle. D'emblée, en silence, vraisemblablement parce qu'elle évoque immédiatement un art primitif, primordial, une nécessité tumulaire. Après tout, ceux qui m'ont légué leur langue, les anciens des anciens, les kourganes, ont pour nom un tombeau, leur tombeau. Cet alignement de formes dressées me rapetisse, comme ces stèles anonymes qui rappellent un peu trop qu'à la question qui suis-je? on peut toujours répondre tu es poussière, et poussière tu redeviendras.

            Je pense sans le vouloir aux cimetières militaires, ces mémoires d'insulte à la vie, dans lesquels les morts sont alignés morts comme ils l'étaient vivants, tellement qu'on les imagine au garde-à-vous. Je pense à la tranchée des baïonnettes, une parodie de fosse commune recouverte d'un petit toit; ses morts, morts debout, sont ceux-là même qui l'ont creusée.

            Je pense à Hamlet et au fossoyeur:

            Whose grave's this, Sir?

            Mine, Sir.*

 

Cela parle d'œuvre d'art, d'artefact, dans sa forme et paradoxalement dans son titre, qui mentionne terre blanche. En effet, ce n'est pas la terre qui est blanche, mais la surface de plâtre lisse de chacune des pièces. Chacune d'elles ment doublement afin de mieux me faire apprécier ce qu'une telle surface lisse et blanche peut dissimuler de substrat de terre brune, grumeleuse et sale: une carotte d'inconscient. Cependant, j'observe ici un faux carottage; le vrai carottage exhume une série de couches historiques, de strates successives, et laisse un creux dans la terre. Ici, l'artiste nous a carottés: il a créé des creux, les a ensuite remplis de plâtre frais et a enfin exhumé le résultat. Ce carottage truqué dérobe à la réalité sa dimension archéologique ou géologique pour la rabattre sur le seul geste du plasticien: on remplace la phylogénie par l'ontogénie. Pourtant, ce moulage ontogénique n'est pas innocent: en utilisant la terre comme un moule, l'artiste se place dans une dimension cosmique, tout comme le fait Ted Hughes pour la tête de l'agneau mort-né, qui posée, sur le sol, a pour corps la terre elle-même:

…brought the head off

To stare at its mother, its pipes sitting in the mud

With all earth as body.**

 

Ces coups de bêche me pétrifient, me rappellent le meurtre premier, celui de Caïn l'agriculteur, tu es maintenant maudit du sol qui a ouvert la bouche pour recevoir le sang de ton frère. Cette exhumation réitérée n'est-elle pas là pour mettre en place le même douloureux problème, celui du champ scopique et de l'agression du regard, l'œil mis en place par Hugo? Voir distinctement, à hauteur de regard, le trou creusé dans le sol, n'est-ce pas avoir un pied dans la tombe, et n'utilise t'on pas le plâtre également pour obtenir des masques mortuaires? En me donnant à voir des parcelles de sous-terre, des négatifs de coups de bêche, cette installation se pose définitivement comme un underground authentique et me place, sinon tête-bêche, du moins dans cette position que j'occupe toujours devant un tableau, mais en l'oubliant la plupart du temps: la place du mort.



*             De qui est-ce la tombe, Monsieur?

               C'est la mienne, Monsieur.

**            …arracha la tête

               Pour qu'elle contemple sa mère, ses tubes reposant dans la boue

               Avec comme corps la terre entière.



16/10/2018
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